Si elle a été pourvue par la nature de l’un des plus beaux sites côtiers de Tunisie, par l’Histoire d’un passé très riche en événements et en legs, par la tradition d’un patrimoine varié et distingué, la ville de Kélibia n’a pas été jusqu’ici dotée par les autorités centrales d’infrastructures dignes de ses ressources, nombreuses et variées.
Un inconvénient cependant compensé par une authenticité, non pas celle du cadre urbain, hélas profondément altéré par une anarchie architecturale dévastatrice, mais celle de l’ambiance qui prévaut dans les quartiers marchands, du côté des quais de son port de pêche, l’un des plus importants du pays. Là, on peut assister à des scènes de départs ou de retour de pêcheurs et s’offrir des moments d’animation originale ; on peut également s’offrir à la terrasse de l’un des nombreux restaurants de cette « zone touristique » un bon repas à base de poisson pour ainsi dire vivant qu’on achète au poids chez le poissonnier voisin.
Au titre du paysage, Kélibia s’offre une situation exceptionnelle, adossée à une campagne verdoyante, lovée au creux d’une baie amplement ouverte sur le large, au pied d’une éminence couronnée d’une citadelle antique qui semble s’avancer dans la mer, tel un bateau amiral. La concentration urbaine sur cette portion du littoral ne doit pas faire oublier le superbe ruban de sable fin et blanc qui, sur plusieurs kilomètres, en direction de Hammam el-Ghezzaz ou de Oued el-Kçab, prolonge la côte au nord et au sud de la ville.
Cette situation exceptionnelle a valu à l’endroit une implantation humaine très précoce. En témoignent les sépultures rupestres protohistoriques dites « houanèt el-Harouri » à peu de kilomètres au nord-ouest de Kélibia. On estime vers le Ve siècle avant J.C. la fondation par les Carthaginois de la cité d’Aspis (« bouclier », en langue grecque ancienne, en référence à la forme des hauteurs qui surplombent l’endroit). On situe vers la même époque l’érection de la citadelle qui sera par la suite remaniée à plusieurs reprises.
En 310, l’historien grec Diodore de Sicile parle de la prise de la ville par les troupes du tyran de Syracuse, Agathocle, venu sur le sol africain guerroyer avec sa rivale, Carthage. Rebaptisée Clipea (ou Klupea) elle a été attaquée par deux fois par les légions romaines durant les guerres puniques, avant d’être soumise et rattachée à l’empire romain après la chute de Carthage en 146 avant J.C.
Au VI° siècle, la ville a été reprise par les Byzantins aux Vandales, qui l’ont occupée après l’annexion de la province, vers 420. C’est de cette époque-là que date l’essentiel de la citadelle qui continue de trôner au-dessus de la ville.
Edifiée au sommet d’un promontoire rocheux haut de 150 m, cet ouvrage domine le large sur le flanc nord-est du Cap Bon. Dans ses parties les plus anciennes, cette forteresse comporte des composantes romaines, mais l’essentiel de l’ouvrage a probablement été érigé vers le VI° siècle par les Byzantins. Il a, par la suite, subi plusieurs réaménagements, jusqu’au XIX° siècle.
L’édifice, massif et trapu, est ceint d’une puissante muraille et est renforcé aux angles par des tours carrées. Son entrée est défendue par une barbacane. Par une rampe passant sous un hall fortifié, on accède au centre de l’ouvrage, entouré d’espaces aménagés, remontant à diverses époques dont, probablement, une chapelle byzantine à trois nefs où sont exposés divers documents et relevés relatifs au fort, ainsi que les restes d’installations militaires, un oratoire et des bassins datant de l’époque ottomane.
A l’angle sud du bastion s’élève le phare. De là, on découvre un admirable panorama sur la côte et le large, par temps clair jusqu’à l’île italienne de Pantellaria, à moins d’une centaine de kilomètres vers l’est. Par le chemin de ronde, on a une superbe vue sur la ville et la campagne environnante.
Les amateurs d’histoire et d’archéologie sont habituellement obnubilés par l’imposante masse de la forteresse ! Ceux-là ne connaissent pas les fruits des fouilles effectuées sur le flanc ouest de la colline et qui ont livré des vestiges de villas d’époque romaine parmi les plus vastes et les plus richement décorées de pavements de mosaïque. A proximité du port de pêche, des fouilles ont mis au jour d’autres vestiges qui illustrent de manière spectaculaire l’opulence de la cité à l’époque romaine à travers la magnificence des espaces publics, en particulier le forum.
Le legs arabo-islamiques de la ville se résument aujourd’hui à un maigre noyau dans lequel subsistent des restes d’organisation de l’espace urbain traditionnel ainsi que quelques locaux typiques de l’architecture citadine de la région capbonaise.
Texte : Tahar Ayachi – Photos : Salah Jabeur – Samia Chagour Françon
Article paru dans iddéco n°29 – Août 2016
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