La maison se cache au creux d’une ruelle, derrière le palais Abdellia. Elle date des années 30, quand la Marsa se croyait le centre du monde parce que le Bey et sa cour y prenaient leurs quartiers d’été.
Tout autour des palais beylicaux, dans les petites rues avoisinantes, s’installaient tous ceux que le pouvoir et ses attributs attiraient irrésistiblement. De même que toutes les chancelleries étrangères qui savaient bien que, même en été, il ne fallait guère s’éloigner de la cour. La maison, dont on a pu retracer l’histoire, a été construite pour une famille française, vendue à une famille tunisienne de vieille souche, revendue, beaucoup plus tard à une directrice de galerie d’art qui, en toute logique, la céda à une artiste.
Feryel Lakhdar avait eu un coup de cœur pour la demeure : elle représentait tout ce qu’elle aimait : le charme désuet, la justesse des proportions, l’harmonie des espaces, et secrétait une indéfinissable nostalgie qui, pour elle, était la plus irrésistible des madeleines.
Elle y installa d’abord son atelier, gardant les choses en l’état. Puis intégra un garage et une courette pour en faire un studio habitable où personne n’habita. Car les maisons ne sont pas innocentes : celle-ci exigeait davantage. L’artiste finit par le comprendre : il fallait y habiter, tout en préservant la raison d’être de cette demeure qui était l’atelier. Commença alors, avec l’aide et la complicité d’une amie architecte, Lamia Bouhajeb qui partageait la même sensibilité, une longue et passionnante aventure. Il s’agissait d’installer un logement pour une grande famille, de préserver l’atelier, tout en respectant l’ADN de la maison, et son charme. On créa des dénivellations, travailla en volumes, en diagonales, joua sur les dénivellations, les demi niveaux, inventa des perspectives, des échappées, pour donner une impression d’espace, et travailla surtout sur les trajets de la lumière et de la transparence.
A l’arrivée, cela a donné une ravissante maison d’artistes, toute en coins et recoins, salons dérobés, consacrés à la lecture, à la musique, au jeu, où chacun trouve sa juste place, espaces ouverts que ne viennent séparer que des panneaux de verre décorés dont la transparence attise la curiosité. Une demeure de poupée, qui a conservé la mémoire de la maison ancienne, sans s’interdire le confort des aménagements modernes, et réussit à merveilleusement les harmoniser. Un espace tout en escaliers dérobés, en terrasses inattendues, en pièces secrètes, en mezzanines-observatoires. Dans cette maison qui lui ressemble, Feryel Lakhdar a entassé pêle mêle souvenirs d’enfances, héritages de grand mères, œuvres personnelles et d’artistes amis, objets anciens chinés par coup de cœur, livres, collections de porcelaines.
Au gré des espaces, on découvre des panneaux de bois peint anciens, souvenirs d’une grand-mère férue de décoration, que l’on a insérés dans une cuisine pièce à vivre. Dans la salle à manger, une sculpture contemporaine de l’artiste fait pendant à un marbre ancien. Une mini-galerie mêle allègrement grands maîtres de l’Ecole de Tunis, et jeunes peintres prometteurs. Une table superbe créée par « Le petit Bagatelle », un bureau Renaissance encadré de chaises cannées provenant d’une vente de château, et découvertes galerie Antinéa, une délicate table de jeu Napoléon 3 créent une atmosphère subtilement éclectique. Les porcelaines, que la propriétaire collectionne, et dont la plupart proviennent, elles aussi de la galerie Antinéa, sont placées dans des niches en verre sablé, ce qui leur permet d’être visibles des deux côtés.
Un sol de marbre foncé unifie la maison, tout en faisant place aux carreaux de ciment anciens, strates et souvenirs de l’ancienne demeure. Et partout, sur les ferronneries, les boiseries de façade, la couleur vert amande emblématique du style de l’époque, qui fait partie de l’ADN de la maison, et qui a demandé d’innombrables essais pour être restituée à l’identique.
Texte : Alya Hamza – Photos : Vincenzo Magnani
Article paru dans iddéco n°27 – Décembre 2015