C’était un évènement.
C’est un des plus beaux évènements de ces dernières années.
Le 16 mars dernier, la galerie Mooja inaugurait une exposition de costumes féminins
tunisiens anciens. Une exposition extraordinaire et rare, opportunément ouverte le jour
même consacré au costume traditionnel en Tunisie. C’était une véritable plongée dans
l’extraordinaire histoire du costume et des parures, broderies, bijoux de la femme tunisienne,
digne du musée de la mode et du costume que nous n’avons toujours pas.
Nous devons cette présentation à Farès Cheraït, designer et fashion designer, qui a créé la
galerie Mooja à Mutuelleville, pour proposer les objets d’un art de vivre à la tunisienne.
Tunesya, l’exposition aux allures de musée, dans une mise en scène feutrée due à Farès lui-
même, c’est le dévoilement d’un trésor national. Chacune et chacun pouvait en connaître
quelques éléments, mais la profusion et la diversité des pièces présentées faisait soudain
prendre conscience de la richesse de ce petit pays, la Tunisie.
Tout était authentique, provenant de la collection constituée au fil du temps par les parents
de Farès, Abderrazak et Monika Cheraït et ne représentait qu’une partie réduite de cette
collection. Pour l’exposition, Latifa Hizem, la célèbre créatrice de Naksha handcrafted, qui
puise son inspiration dans le patrimoine, avait prêté quelques-unes des pièces de sa
collection personnelle.
Il y avait donc exposés, dans une scénographie délicate, les costumes dits citadins , coupés
et cousus des différentes villes de la côte et les costumes drapés de l’intérieur du pays, dans
toute leur diversité. Tous ces costumes étaient brodés. Les matières et les motifs de ces
broderies, parfaitement codifiés selon les régions ou même les micro-régions, voire des villes
et des villages, étaient représentatifs d’une identité locale forte, qui s’exprimait notamment
dans l’habillement de la mariée.
Il en va de même des bijoux, en or et en argent, avec leurs motifs porte-bonheur et, pour
les costumes drapés, leur rôle fonctionnel de fermeture du vêtement. La frontière entre bijou
et broderie dans certains costumes est difficile à tracer, dans les gilets citadins brodés de
certaines villes par exemple, comme Mahdia et Moknine , ou dans l’île de Djerba .
Aux côtés des broderies singulières de Raf Raf , un pan entier était réservé à celles de
Hammamet . A Djerba, les parures et coiffes ont des airs à la fois religieux, antiques et
résolument futuristes.
C’est un véritable voyage dans la Tunisie que l’on a présenté : entre les laines de Sousse ,
les soieries de la côte , cousues de fils d’or , les tissages du sud . L’esthétique de certaines
pièces de vêtement rappellent les influences des différentes civilisations qu’a connue la
Tunisie . On retrouve par exemple dans les somptueuses tuniques brodées de Raf Raf
l’influence des robes d’apparat andalouses. Certaines babouches à la pointe relevée
rappellent l’atmosphère turque. Le caftan est également est également d’inspiration turque
mais les tunisiennes ont inventé leur manière propre de le porter.
On apprend qu’en Tunisie existent deux grandes zones de vêtements distincts : les zones du
costume dit « citadin », coupé-cousu, qui épouse les formes du corps. Il correspond
naturellement aux zones les plus riches du pays , de Bizerte, Tunis , du Cap Bon, Sfax. Les
zones du costume drapé, attaché par des fibules et des ceintures, qui correspondent à
l’arrière -pays, du Nord-ouest jusqu’au Sud. L’originalité des vêtements ne se trouve pas
dans la coupe mais dans le travail de broderie, affaire de mains de femmes. Si les motifs
géométriques prévalent dans le sud et répondent à travers l’espace et le temps aux motifs
pré-colombiens, les motifs figuratifs se retrouvent dans la région côtière du Sahel.
Les tissus sont de diverses origines : lin à Raf Raf , coton produit à Menzel Jemil . Les rubans
de soie et les fils d’or venaient de Lyon, via le port de Mahdia .
Pas moins d’une centaine de pièces rares, emblématiques des traditions tunisiennes étaient
exposées. Parmi elles, au milieu des costumes, des bijoux, des coiffes, des objets précieux
tels que des lance-parfums, des peignes, des miroirs , des coffres ouvragés . On reste ébahi
devant la modernité de certaines pièces, mules à talons toujours réinventées au goût du jour
ou le caractère universel des sabots caractéristiques destinés au hammam, que l’on retrouve
au Japon .
Un petit film retrace le trajet de Farès Chraït , à la recherche d’artisanes, tisseuses,
brodeuses, dentellières, magiciennes des étoffes et des matières .
Cette exposition raconte une histoire, notre histoire, celle d’une Tunisie multiple et surtout
celles de ses femmes, qui ont une place essentielle et prépondérante dans l’art de vivre
millénaire dont l’écho se propage jusqu’à nos jours .
Au final, un éblouissement devant ces trésors. L’exposition qui devait fermer le 21 avril,
après la clôture du mois du patrimoine, a dû être prolongée jusqu’au 08 juin, tant la
fréquentation de la galerie restait forte. Tout s’est passé comme si le public avait considéré
ce musée provisoire comme une institution permanente.
On ne peut que rendre hommage à Farès Chraït et à l’équipe qu’il a réunie autour de lui avec
beaucoup de rigueur, de professionnalisme et d’amour pour nous avoir fait ce cadeau. Une exposition de cette qualité mérite d’être présentée à l’étranger et Farès Cheraït, qui a collaboré avec Azzedine Alaïa, a pris déjà des contacts pour que l’exposition puisse voyager et être vue sur d’autres cieux, en attendant le grand musée de la mode et du costume
tunisien.
Edia Lesage, juin 2023
Tunseya , l’équipe :
Farès Cheraït, fondateur et Directeur Artistique.
Raya Ben Guiza verniers et Gérald Verniers : Directeurs de la communication.
Inès Goor : Rédactrice en chef.
Tarek Slama : « la chambre noire », directeur de la photographie .
Ghazi Saïdi, architecte et scénographe.
Latifa Hizem, consultante . Karim ben Amor, « Noway studio », graphisme.
Syrine Bahroumi , modèle pour la photographie .