Ses films datant des années 60 et 70 sont des pépites. C’est que Sophie Ferchioui se passionne dès ses premiers travaux pour « la vérité mouvante » de la société tunisienne.

Trois films de Sophie Ferchiou, doyenne des anthropologues et des cinéastes tunisiens, aujourd’hui âgée de 87 ans, ont été restaurés récemment par la Cinémathèque de Tunis. Deux de ces documentaires, « Chéchia » (1966) et « Guellala » (1975) ont été projetés à la Cinémathèque le 31 janvier dernierdans le cadre du séminaire : « Films et Sciences sociales », organisé en collaboration avec l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC). Ce fut une occasion pour le public de découvrir une partie du travail de cette anthropologue rigoureuse et passionnée, et qui malgré de longues études de philosophie et de sociologie en France dans les années 50 et 60 se concentre essentiellement sur le terrain tunisien. Un terrain qui lui a valu une douzaine de films et dont elle fouille sans relâche les traditions professionnelles, le monde du travail, les rituels religieux, les rapports de sexe dans la parenté et la vie économique, les écarts qui se creusent entre un artisanat ancestral et l’industrialisation galopante…
Remue-ménage à la Sorbonne
Sophie Ferchiou soutient sa thèse de troisième cycle en 1968 sur la fabrication de la chéchia. La soutenance est accompagnée d’un film documentaire d’environ trente minutes. « A la Sorbonne, ce jour-là, la projection de mon film a créé un tel remue-ménage. Je crois que c’était la première fois qu’un thésard arrivait avec un documentaire sous le bras », se souvient l’anthropologue.
Elève de Jean Rouch, Sophie Ferchiou, grâce à qui une génération de jeunes chercheurs a vu le jour en Tunisie nourris par ses terrains et enquêtes, présente ainsi son travail cinématographique : « Le film anthropologique ne faitpas partie d’un genre cinématographique. C’est plutôt une discipline scientifique : nous voulons connaître le réel humain au plus près de sa vérité mouvante ». Le documentaire « Guellala » a été produit dix ans après « Chéchia ». C’est une immersion dans le village berbère de Djerba avec un focus sur les relations de travail. Il revient également sur la dichotomie entre la pauvreté des habitants de Guellala et le luxe du monde du tourisme ainsi que les oppositions entre l’univers des femmes et celui des hommes. Des thématiques qui restent tellement d’actualité et que la cinéaste a su bien rendre dans un film qui fait partie aujourd’hui d’un patrimoine iconographique à préserver sans la moindre hésitation.
« J’utilisais des équipes réduites pour mes tournages. Il faut déranger le moins possible les gens qu’on filme, jusqu’au point de se faire oublier. D’ailleurs je ne commence le tournage qu’une fois bien familiarisée avec le milieu. D’autre part si l’enquête dure longtemps, le tournage doit durer très peu de jours, pour préserver ce côté spontané des gens. Ils ne doivent surtout pas se mettre à jouer », commente Sophie Ferchiou.
En qualité de chercheur au CNRS, en France, Sophie Ferchioui est l’auteur de plusieurs ouvrages individuels et collectifs portant sur divers aspects de la société tunisienne au fil des années 60 jusqu’aux années 90. Elle a, entre autres, dirigé une étude collective et pluridisciplinaire autour de la structure familiale tunisienne, centrée sur des enquêtes à partir d’un fonds d’archives de notaires.Mais le public de la Cinémathèque attend surtout la poursuite de la restauration des autres films de l’anthropologue : « Zarda », « Le Mariage de Sabrya », « Les ménagères de l’agriculture », 1978, « Stambali » et « Paroles sculptées ».
Texte : Olfa Belhassine
Article paru dans iddéco n°39 – avril 2019
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