L’insularité est une chose bien étrange. A vivre à la frange de deux univers, sur cette crête indécise ni mer ni terre, dans ces contrées larguées sur les flots, dont on rêve quelques fois qu’elles prennent le large, on acquiert une perception différente des choses. Le ressac pulse un mouvement éternel, la marée efface la réalité des limites, la réfraction des lumières sur les flots invite au mirage.
M’Guedmini est fils d’une île. Il ne s’en remettra jamais. Il faut à son imaginaire le double appel de l’exil et de l’ancrage, de l’aventure et du terroir, du marin et du paysan. Est-ce pour cela qu’il se complait à peindre des intérieurs sombres, mais vus d’en haut, des cafés animés, tournant le dos à la rue, des maisons qui ont rarement des fenêtres…. Pour cela aussi que la mer, quand il la peint, est souvent obscure, nocturne, opaque…. Il refuse la tentation des cieux éclaboussés de soleil, des horizons infinis, des vagues porteuses de promesses d’aventure, et son art est tout de tension, de rétention. L’homme n’est pas un contemplatif, il est tout en mouvements, en torsions, en recherche d’équilibre. Et l’on peut être tenté de voir si son atelier, le lieu où il passe la plus grande part de ses journées, lui ressemble.
A priori, l’atelier ressemblerait davantage à l’île mère que les toiles de l’artiste : des plantes odorifères qui enchantent les soirées, une terrasse accueillante, un jardin ancestral où oliviers, figuiers et pommiers racontent l’histoire de cette terre millénaire que ses enfants ne savent pas quitter. Une porte bleue, des murs blancs, de l’espace, et…..un inconcevable enchevêtrement de choses. Les quelques meubles disparaissent sous d’improbables échafaudages, des accumulations de papiers, de toiles, de cadres vides, d’outils. Et puis des bouquets de pinceaux, des pyramides de pots de peinture, des crayons, des châssis. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. M’guedmini y évolue en équilibriste, trace son chemin, libère un siège, déplace un bois flotté, et trouve immédiatement le tube de couleur dont il a besoin.
L’atelier est à la fois fermé et ouvert, voué à la solitude de l’artiste au travail, mais accueillant à l’ami de passage, au collectionneur curieux, à l’amoureux des arts. Il est refuge et lieu de rencontre, effervescence et sérénité.
Réflexion faite, cet atelier ressemble à l’artiste dans sa dualité, Janus des îles aux visages complexes, au talent lumineux et sombre à la fois.
Texte : Alya Hamza – Photos : Salah Jabeur
Article paru dans iddéco n°25 – Juin 2015
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