Qui dira de quelles abysses nous proviennent ces gâteaux-là, dont seule une toute petite région profondément ancrée dans l’histoire, coincée entre hauteurs et littoral du flanc nord-est de la péninsule du Cap Bon et qui court de Menzel Témime à Kélibia, conserve vivace le souvenir et l’usage ? Sa forme, sa composition et son mode de cuisson ainsi que la périodicité de sa consommation indiquent clairement une origine lointaine et une nature rituelle.
Elémentaire, sa forme ? Assurément, comme tout ce qui est primordial : un rond, un anneau, comme celui que portaient aux chevilles les belles des temps passés et même, occasionnellement, celles des temps présents dans certaines régions de Tunisie. Ou comme ces bracelets (megyâs) aujourd’hui encore si répandus. Hasardeuse, la comparaison ? Voire. En tout cas, elle se justifie au moins au niveau de la taille : les kaaks de Kélibia (objet de notre reportage photographique) sont très nettement plus grandes que celles de Menzel Témime. Pour le reste, tout est identique.
Il s’agit, comme son apparence ne l’indique pas, d’un gâteau fourré aux dattes. La farce est en soi, déjà, toute une alchimie. Les connaisseurs disent qu’il faut d’abord choisir ses fruits dans la variété dite allig, de moins bonne qualité que la degla mais dont la texture se prête mieux au malaxage. On commence par écraser les dattes dans un moulin à viande, par exemple (dans le temps, elles étaient pilées dans un mortier). La pâte obtenue est humectée d’huile et ensuite pétrie avec soin, additionnée de purée de sésame et aromatisée aux clous de girofle, de bourgeons de pétales de rose, d’extrait d’eau de géranium, d’écorce d’oranges séchée et moulue et de tous les petits secrets de la ménagère. Cette pâte est ensuite enroulée en colombins un peu plus gros que le doigt. Ils sont réservés.
Vient ensuite le tour de la pâte en farine. Il s’agit d’obtenir un produit très homogène et très élastique, grâce à un pétrissage réitéré de la farine mêlée au beurre, sucre fondu et eau tiède. Dans le « pain » ainsi obtenu, on prélève des boulettes de la grosseur d’un oeuf qu’on abaisse au rouleau en longue forme ovale.
Sur les « coussins » ainsi obtenus, on place la farce, on l’enveloppe de pâte et on roule le tout pour obtenir un nouveau colombin d’environ un centimètre et demi de haut et d’une quinzaine de centimètres de long, effilé aux extrémités qu’on joint sur le côté (qefla 3ala jneb), marque d’authenticité du produit que les « imitateurs » omettent de respecter en faisant superposer les extrémités sur le dessus du
gâteau !
Vient ensuite la décoration de ce gâteau. Cette opération, codifiée, a perdu sa signification originelle mais est scrupuleusement respectée. Il s’agit, avec des pinces spéciales (mounqâsh) dont l’usage a aujourd’hui disparu pour être remplacées par les pointes d’une fourchette, d’imprimer sur le flanc extérieur du gâteau des empreintes piquées. On dispose également, sur le dessus du kaak, une fine décoration à la teinture rouge sous forme de points en triangle et on applique sur le flanc intérieur une décoration en relief ton sur ton. Les mêmes procédés sont de mise sur les deux « formats » du gâteau.
Une fois ce travail achevé, on passe à la cuisson. Celle-ci s’effectue dans le four domestique traditionnel en argile dit tabouna. Les pièces sont appliquées sur la paroi très chaude du four et y sont maintenues environ une heure de temps avant d’en être retirées.
Ce gâteau, à la saveur antique et toute aérienne, est généralement fabriqué pour la célébration de la fête de l’aïd, mais se conserve chez les familles toute l’année pour les grandes solennités. Il n’est malheureusement pas en vente dans le commerce. Ce qui le rend d’autant plus rare et précieux.
Article par dans iddéco n°18 – Septembre 2013
Texte : Taher Ayachi – Photos : Samia Chagour
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